LA RUY LOPEZ AU COUP PAR COUP

 Quoi de plus naturel que d’évoquer la Ruy Lopez sur le blog Ruylopez ?! Nous allons appliquer le principe suivi lors de l’étude de la défense sicilienne en laissant la parole à de grands joueurs ou de grands théoriciens face à chaque coup joué.

 La Ruy Lopez ou défense espagnole a reçu son nom d’un joueur et prêtre espagnol du XVI° siècle (1530-1580) qui a pu être considéré pendant un temps comme le champion du monde officieux de son époque. Cette ouverture a résisté au temps et est encore pratiquée au plus haut niveau.

1. e4

 Ce coup est caractéristique d’un début ouvert. Il existe de nombreuses ouvertures à apprendre, suite à un tel coup :

 

- A. Les ouvertures symétriques avec 1…e5 => 2. f4 (Gambit du Roi accepté avec d5 ou g5 ou d6 ou Cf6), (Contre Gambit Faalkber), (Gambit du Roi refusé)

ð 2. Cf3 (2…f5 Gambit Letton), (2…d5 Contre Gambit du pion-Dame), (2…d6 Défense Philidor et Gambit Philidor), (2…Cf6 Défense Pétroff ou Défense russe), (2…Cç6 Espagnole ou Italienne)

ð 2.Cç3

ð 2.Fç4

- B. Les réponses non symétriques avec 1…ç5 (Sicilienne)

 1…e6 (Française)

 1…ç6 (Caro-Kan)

  1…d6 (Pirc)

 1…Cf6 (Alekhine)

 1…g6 (Moderne)

  1…d5 (Scandinave)

 1…b6 (Nimzovitch)

 

1…e5

 Le départ 1e4-e5 confère à la position une caractéristique fondamentale qui est la faiblesse des points f7 et f2 dont seuls les Rois assurent la protection. Le point f7, en particulier, constitue un objectif d’attaque pour les Blancs, d’abord parce qu’ils ont le trait, ensuite parce que les Noirs auront de la peine à interposer un pion pour fermer la diagonale ç4-f7. Cela explique pour les Blancs l’intérêt de la sortie Ff1-ç4 afin d’exercer une pression sur f7, renforcée par des manœuvres telles que Cg5, Ce5, Df3 ou Dh5.

 Autre caractéristique, la possibilité d’ouvrir des lignes supplémentaires par l’avance centrale d4 ou l’avance de flanc f4.

 

2. Cf3

Sans sacrifier du matériel, comme le ferait le gambit du Roi (f4), la sortie du Cavalier-Roi poursuit une stratégie saine et énergique, à savoir :

1. Elle développe aussitôt une pièce mineure.

2. Elle crée une menace directe sur le pion-Roi adverse en e5.

3. Elle correspond non seulement au principe connu qui consiste à développer, si possible, les Cavaliers avant les Fous, mais aussi au conseil pratique de préparer au plus vite le petit roque qui mettra le Roi en sûreté, tout en introduisant la Tour du roque dans la zone de combat.

4. Elle place le Cavalier sur f3, case où il sera plus efficace qu’en h3 (zone excentrée) ou en e2 où il gênerait la liberté d’action de ses propres pièces (Ff1 et Dd1). (selon les analyses de Tartakover).

 Ce coup de Cavalier f3 est naturel, multifonctionnel, il prépare notamment la poussée d4.

 Comme les Blancs ne peuvent immédiatement attaquer e5 par 2.d4 qui serait la méthode directe, ils doivent, pour renforcer leur attaque, menacer quelque chose. D’où 2.Cf3 qui se détache comme la plus forte continuation. Avec ce coup, les Blancs ne renoncent pas à l’idée de jouer d4 qui est le seul moyen de s’assurer l’avantage ; ils renvoient simplement cette idée à un moment plus favorable.

 

2…Cç6

 A leur deuxième coup, les Noirs ont le choix entre la contre-attaque (2…Cf6 ou 2…f5 ou 2…d5) ou ce que le GMI Fine nomme la défense « strong-point » dont le seul coup valable est 2…Cç6. Ce coup possède d’une part l’avantage qu’il défend le pion e5 et qu’en même temps il laisse la voie ouverte à un choix plus précis pour un peu plus tard. D’autre part, il ne bloque pas la sortie du Fou-Dame noir comme le ferait le coup 2…d6 dans la défense Philidor. C’est une pièce mobile qui entre en jeu.

 

3. Fb5

Dans la partie espagnole, symétrique dans ses deux premiers coups, l’unique atout des Blancs est l’initiative sur le trait : ils sont les premiers à pouvoir attaquer quelque chose et par conséquent, afin de forcer la partie vers des voies favorables, ils doivent avoir recours à des menaces. Fb5 attaque le défenseur de e5, le Cç6 et complète la menace exercée par le Cf3.

Ce coup caractérise l’ouverture espagnole (car le Fou pourrait prendre une autre case en ç4 [italienne]). Les Blancs exercent une pression indirecte sur la position noire, parce qu’après FxCç6, ils menacent de prendre le pion e5. Cependant, tant que le pion blanc e4 n’est pas protégé, il n’y a encore aucun danger imminent pour e5. Les Noirs doivent cependant constamment tenir compte de l’échange en ç6 lorsque les circonstances seront plus favorables pour les Blancs, selon Euwe.

Le champion belge Van Seters remarque que cette attaque indirecte sur e5 a le mérite de limiter le choix des Noirs qui devront constamment se prémunir contre la menace latente FxCç6 suivie de Cxe5.

Selon Kérès, la sortie Fb5 constitue une mesure prophylactique : elle freine la poussée libératrice d7-d5, si importante d’ordinaire pour les Noirs dans les débuts ouverts. En effet, sa réalisation précoce engendrerait le clouage du Cç6 et par voie de conséquence, affaiblirait la protection de e5.

Le maître Kallaï indique que ce coup Fb5, avec les variantes et les idées qui lui sont liées, a été le sujet de recherches des Espagnols Lucéna et Ruy Lopez il y a déjà 500 ans ! Selon lui, le but de ce coup peut être résumé en 3 explications :

a. Le développement rapide de l’aile-Roi blanche permet un petit roque immédiat (roi en sécurité et arrivée rapide de la Tour-Roi en e1).

b. Le Fou blanc de cases blanches exerce une pression sur le Cç6, ce qui renforce l’influence des Blancs sur les cases importantes d4 et e5

c. Finalement, les Blancs jouent pour d2-d4, mais d’abord, ils se développent et construisent leur position, tout en empêchant les actions noires.

Ruben Fine ajoute que ce coup de Fou annonce l’espagnole qui, pour l’importance, dépasse selon lui toutes les autres parties ouvertes. Elle combine la solidité de l’italienne et la vigueur des gambits pour créer une menace directe car pour la première fois, les Noirs doivent défendre le pion e contre une menace instituée par une pièce avant même que des pions viennent à la rescousse puisque d5 est réfuté par le clouage Fb5.

Pour certains commentateurs la menace Fb5 ne s’exerce pas seulement sur e5 : les Blancs veulent jouer c3/d4 et contraindre les Noirs à e5xd4 suivi par la réponse c3xd4 après quoi les Blancs auraient un centre idéal générateur de chances d’attaque à l’aile-Roi.

 Après ce coup, plusieurs possibilités s’offrent aux Noirs : 3…a6, la défense Morphy ou défense « active » ; 3…d6 la défense Steinitz ou défense « strong-point » ; 3…Cf6, la défense berlinoise ou contre-attaque ; 3… Cd4 la variante Bird ; 3…f5 le gambit Jaenisch-Schliemann ; 3…Fç5, la défense Cordel. Tout cela sera approfondi dans un prochain article mais il était indispensable de réfléchir aux coups constitutifs de la partie espagnole : pour comprendre, il faut se demander quel est le pourquoi initial des choses !

   

 

 

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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