LA DEFENSE SICILIENNE AU COUP PAR COUP

 

   Il y a quelques années, j’ai étudié les premiers coups de certaines ouvertures en allant chercher systématiquement dans des revues, des livres, des articles ce que plusieurs grands-maîtres ou maîtres avaient écrit sur chaque coup réalisé. Il me semble que c’est la meilleure manière d’aborder les ouvertures : si l’on parvient à trouver les justifications de chaque coup en s’appuyant sur l’autorité des spécialistes, l’on a d’autant plus confiance dans les coups que l’on joue ensuite sur l’échiquier, quel que soit l’adversaire !

   Je vous propose aujourd’hui de vous livrer le condensé de leurs appréciations sur les premiers coups de la défense sicilienne.

 

1er coup des Blancs : e4.

 

   Après e4, le contrôle des Blancs sur la case f3 diminue. Tout coup de pion, quelle que soit sa force propre, implique un affaiblissement autre.

 

   Avantages du coup e4 : les Blancs ont un contrôle central et ouvrent des lignes, ce qui favorisera leur développement. Avancer de deux cases le pion-Roi correspond aux principes cardinaux de l’ouverture ( occupation du centre et mobilisation rapide des pièces.)

 

1er coup des Noirs : …ç5.

 

   Les Noirs doivent prévoir déjà après ce coup tout un éventail de possibilitéd de la part des Blancs : 2.ç3 ; 2.d4 ; 2.b4 ; 2.f4 ; 2.Cç3 ; 2.Cf3

  

   Au lieu de s’attaquer en priorité au pion-Roi blanc, les Noirs, par ç5, neutralisent la poussée d4 par l’échange possible …çxd4. Les Blancs n’ont guère de suite plus prometteuse que 2.Cf3 et 3.d4 et il leur faut bien passer par l’échange. Cette bataille ne néglige par pour autant la bataille pour le centre.

 

   La disparition de la faiblesse f7 est une conséquence du choix de cette ouverture pour les Noirs.

 

   Ce type de début semi-ouvert obéit à un souci d’économie intellectuelle. Ce sont les Noirs qui imposent leur défense et on les suppose à la hauteur. Ils devront moins redouter d’attaques surprises ou de variantes inédites.

 

   Les Noirs ne dévoilent encore rien de leurs choix centraux, sinon le désir de faire participer leur pion ç à la lutte.

 

   Les Noirs empêchent une occupation immédiate et complète du centre par l’adversaire.

 

   Les Noirs par 1…ç5 contrôlent la case d4 : ils vont échanger un pion de l’aile contre le pion du centre d4 et conserveront une majorité de pions centrale d et e contre e et ils ouvriront à leur profit la colonne « ç » pour contre-attaquer à l’aile-Dame. Mais les Blancs ont aussi des avantages : les Noirs n’ayant pas de pion en e5, les Blancs peuvent jouer f4 sans obstacle et leur centre mobile e4-e5, f4-f5, leur assure de belles perspectives d’attaque à l’aile-Roi.

 

   La défense sicilienne est l’ouverture la plus importante dans laquelle les Noirs répondent à l’avance du pion e4 par autre chose que …e5.

 

   Dans la sicilienne, un équilibre se produit entre l’avantage d’espace des Blancs et le centre majoritaire des Noirs. Steinitz a montré que les Noirs n’ont habituellement rien à craindre dans les parties du pion-Roi s’ils parviennent à maintenir leur position centrale par ce qu’on appelle un « strong-point » constitué par le pion noir e5. Or, un des secrets de la sicilienne est d’agir comme si le pion e des Noirs était virtuellement en e5. Cela permet aux Noirs, à tout moment, de maintenir la position au centre avec tous les avantages que cela comporte, mais sans subir les inconvénients dus à une avance précoce du pion e (affaiblissement de d5 et f5 et constitution d’une cible pour l’adversaire.).

 

   Stauton et Jaenisch considéraient tous deux que …ç5 était la réponse la plus forte à 1.e4, ce que reflètent leurs nombreux écrits … Après les coups 1.e4 ; ç5, les Blancs ont un pion central, les Noirs n’en ont pas ; mais chaque joueur attaque une des cases centrales situées dans le territoire adverse, le pion e attaque d5 et le pion ç attaque d4. Ces deux cases sont parmi les plus importantes dans la défense sisilienne. Les Blancs essaient habituellement d’occuper la case d4 avec une pièce mineure et de conserver la case d5 soigneusement sous contrôle … La case d5 est même plus importante. En effet, si les Noirs parvenaient à s’en emparer et à pousser d5, ils s’assureraient au moins l’égalité. La lutte pour le contrôle des cases d4 et d5 représente donc le thème sous-jacent de cette défense.

 

2ème coup des Blancs : 2.Cf3 :

 

   Ce début peut engendrer quantité de variantes comme le système Scheveningue, Kérès, Morphy ou Maroczy.

 

   Les Blancs n’ont d’ailleurs guère de suite plus prometteuse que 2.Cf3 et 3.d4

 

   Les Blancs ne sont nullement forcés de jouer ces trois premiers coups, mais l’expérience a démontré que la plupart de leurs autres plans ne contribuent pas dans la même mesure au contrôle du centre et par conséquent, les Noirs éprouvent de moindres difficultés à neutraliser l’initiative blanche.

 

   La stratégie ordinaire consiste à « dégager » au centre par ce coup et le suivant (3.d4). Deux autres méthodes moins usuelles sont l’occupation du centre par ç2-ç3 et d4, et le renoncement provisoire à toute action centrale par Cb1-ç3 suivi de d3, g3, Fg2 (défense fermée).

 

   Le traitement ouvert de la sicilienne est assurément le plus prometteur pour les Blancs. Ceux-ci veulent pousser d2-d4 (2.d4 ; çxd4 3.Dxd4 ? Cç6 perdrait un temps à cause de l’attaque de la Dame blanche par le Cavalier.) pour prendre position au centre et par la suite, la poussée f4 leur assure de nombreuses possibilités d’attaque à l’aile-Roi.

 

2ème coup des Noirs : 2.d6 :

 

   2…Cç6 et 2…e6 amènent les deux autres grands schémas de la sicilienne.

 

   Avec 2…d6, en différant la mobilisation du Cavalier-Dame, les Noirs activent la mobilisation prochaine de leur aile-Roi.

 

   En outre, cette avance d6 prépare tout spécialement la sortie et la protection du Cavalier-Roi menaçant le pion e blanc.

 

   Ce coup d6 peut amener les systèmes du Dragon, Boleslavsky, Sozin, Richter-Rauser, Najdorf, ou les systèmes avec 3.Fb5+, 3.d4.

 

   Le coup d6 est très élastique et reporte la question du développement du Cb8, celui-ci trouvant parfois sa meilleure place en d7. Cela ne signifie pas que 2…Cç6 ou 2…g6 ou le « nimzovitchien » 2…Cf6 soient inférieurs !

 

   Le coup d6 est cependant le plus populaire. Il permet de jeter rapidement dans la bataille les forces de l’aile-Dame, principal atout des Noirs dans cette défense. C’est pourquoi, il est compréhensible qu’il soit préféré à 2…e6, 2…Cf6 ou 2…g6.

 

   3ème coup des Blancs : 3. d4 :

 

   Les Blancs essaient généralement d’ouvrir le jeu en poussant le pion d4 et en l’échangeant contre le pion ç noir. Cet échange n’est pas à leur avantage, car  un pion du centre a plus de valeur qu’un pion-Fou. Il est vrai que les Blancs disposeront ensuite d’une plus grande liberté de mouvement et pourront profiter de l’avantage que leur donne le trait, mais en contrepartie, les Noirs joueront longtemps avec un pion de plus au centre. Aucune autre ouverture ne leur donne cette possibilité. En résumé, les Blancs ont un meilleur jeu de pièces, les Noirs un meilleur jeu de pions. Celui qui, le premier, parviendra à concrétiser sa supériorité, gagnera la partie.

 

   Il peut sembler étrange d’échanger un pion du centre contre un pion de l’aile, mais en échange de cette petite concession, les Blancs obtiennent un avantage d’espace.

 

   Après ce coup 3.d4, on atteint une position des plus communes, et caractéristiques de la sicilienne : les Blancs vont ouvrir la colonne « d » et chercheront à imposer leur suprématie au centre en exerçant une pression sur cette colonne. En compensation, le contre-jeu noir se dessine sur la colonne « c ». Au centre dominé et occupé par les Blancs, les Noirs opposent une action de contrôle des cases critiques.

 

3ème coup des Noirs : 3…çxd4 :

 

   Cet échange permet aux Noirs d’ouvrir la colonne « c », d’échanger un pion de l’aile contre un pion central et de jouer longtemps comme s’ils avaient un pion de plus. En échange, les Blancs vont disposer d’une grande liberté de mouvement et de l’avantage du trait.

 

Nous verrons la suite de cette bataille très prochainement ; à bientôt sur Ruylopez !

 

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