ECHECS ET LITTERATURE

 

De nombreux écrivains ont traité du thème des échecs à travers le temps et les pays. Nous commencerons cette approche par un texte du Moyen-Âge extrait de la Chanson de Gestes du XIII° siècle « Huon de Bordeaux ». Ce texte rappelle la double possibilité qui existait alors de conduire une partie d’échecs.

 

  « Une partie sentimentale d’échecs ».

 

  Huon est un chevalier qui, à la suite d’une série d’épreuves est devenu serviteur d’un ménestrel joueur de harpe à la cour d’un émir, Yvorin. Huon s’est vanté de sa force aux échecs et Yvorin l’oblige à affronter sa fille qui se prétend imbattable à ce jeu. La partie commence avec des enjeux qui sortent de l’ordinaire !

 

 

 

   L’émir dit alors : « Ma fille, écoutez-moi bien : il vous faut faire une partie avec ce gentilhomme. Si vous pouvez le battre au jeu d’échecs, tout aussitôt il aura la tête coupée. Mais s’il peut vous faire perdre la partie, il doit user de vous selon son désir.

-         Seigneur, lui répond-elle, puisque vous le voulez, il me faut vous l’accorder, que je le veuille ou non. » Puis elle dit à voix basse et à part soi : « Par Mahomet, il est doux de l’aimer pour l’agrément de son corps et pour sa grande beauté. Qu’une fois la partie terminée, il me serre contre lui et me soumette entièrement à ses désirs. » Alors on fait apporter un tapis de soie qu’on étend aussitôt au milieu de la pièce. Huon s’assied et la jeune fille est près de lui. Puis les seigneurs se rangent tout autour. Alors le jeune Huon s’adresse  à l’émir : « Seigneur, dit-il, écoutez-moi bien. Maintenant je vous demande, seigneur, de faire silence, vous et vos hommes, ce sera agir avec courtoisie. La partie est décisive, nul ne doit intervenir. » L’émir lui répond : « Vous auriez grand tort de le craindre. » Alors il fait proclamer aussitôt que tous doivent se taire sous peine d’avoir les membres coupés. ( Adont ont fait l’eskekier aporter, qui estoit d’or et d’argent painturé ; li eskiec furent de fi or esmeré.)On fait ensuite apporter l’échiquier orné d’or et d’argent. Les pièces en étaient d’or fin. (Dame, dist Hues, quel ju volés juer ?Volés as trais u vous volés as dés ?) « Demoiselle, dit Huon, quel jeu voulez-vous adopter ? En calculant les coups ou bien avec les dés ? » [Les joueurs avaient alors le choix entre deux méthodes ou bien comme aujourd’hui ou en jetant des dés qui désignaient par le sort la pièce à déplacer.]

-         « Eh bien, que ce soit en calculant les coups », répond la jeune fille au teint clair. Ils se mettent donc à méditer sur leur jeu. Les païens fixent Huon de leurs regards, mais le jeune homme se concentre sur son jeu.

Il perd bon nombre de ses pièces et commence alors à blêmir. La jeune fille se met à le regarder. « Chevalier, dit-elle, voyons, à quoi pensez-vous ? Encore un peu et vous êtes maté. Dans un instant on va vous couper la tête.

-         Demoiselle, lui répond Huon, laissons donc cela. La partie n’est pas   encore entièrement jouée. Mais ce sera grande honte et grande vilenie quand entre mes bras vous serez étendue toute nue alors que je ne suis que le serviteur d’un pauvre ménestrel. » Les seigneurs qui l’entendent ont beaucoup ri. Alors la jeune fille a tourné ses regards vers Huon. L’amour l’aiguillonne, l’enflamme et elle pense tellement à Huon à cause de sa grande beauté que son manque d’attention lui fait perdre la partie. Huon s’en rend compte et est tout joyeux. Aussitôt il interpelle l’émir : « Seigneur émir, dit Huon le vaillant, maintenant vous pouvez voir comment je sais jouer. Si je voulais m’appliquer tant soit peu, je pourrais bien proclamer votre fille matée.

-         Ma fille, allons, levez-vous, crie l’émir. Maudite soit l’heure de votre naissance. Alors que vous avez battu au jeu tant de grands personnages, voilà qu’un valet vous a ici matée.

-         Seigneur, lui répond Huon, ne vous emportez donc pas. Cette convention que vous m’avez fixée pourra bien, si vous le désirez, rester lettre morte. Que votre fille aille prendre du repos dans ses appartements et moi j’irai servir mon ménestrel. » Yvorin lui répond : « Si vous consentez à cela je vous ferai donner cent marcs d’argent.

-         Seigneur, déclare Huon, mais oui, par Dieu. » La jeune fille alors s’en va le cœur chagrin. « Certes, dit-elle, puisse Mahomet t’accabler ; si j’avais su que tu t’en tiendrais là, par Mahomet je t’aurais bien fait perdre. »

 

 

 

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